Kinématoscope

Commentaire sur le site du réalisateur Frank Gassner:

Lors d’une guerre, dix personnes tentent de fuir une ville occupée à bord d’une malle-poste. Même si les occupants ne commettent pas les atrocités qu’elles avaient craintes, elles veulent recommencer à vaquer à leurs occupations et tentent de partir ailleurs.

Ce groupe de réfugiés est composé d’une grande variété de catégories de population. Des citoyens aux deux religieuses en passant par les nobles, toutes les couches de la société sont représentées. Même les partisans des réformes démocratiques sont incarnés par Cornudet. La couche la plus basse est formée par la prostituée « Boule de suif ».

L’intrigue montre l’évolution de la relation entre Boule de suif et les citoyens distingués du groupe de voyageurs.

Au début, le groupe montre clairement qu’il méprise Boule de suif. Mais cette attitude change peu après le départ de la malle : comme personne dans le groupe n’a fait de provisions, ils sont malgré tout ravis que Boule de suif partage les siennes avec eux et la relation s’améliore sensiblement. Dans une auberge que le groupe de voyageurs doit utiliser comme logement provisoire, ils rencontrent un officier de l’armée d’occupation qui n’accepte de les laisser passer qu’après avoir profité des services de Boule de suif. Mais Boule de suif se sent blessée dans sa fierté patriotique et se refuse à lui.

À ce moment-là, l’ambiance entre les voyageurs se détériore de nouveau, car ses compagnons n’admirent pas la prostituée pour sa fermeté. Au contraire, ils sont ennuyés car cette résistance les empêche de continuer leur voyage.

Par de subtiles références au devoir des femmes de se sacrifier mêlées à des exemples tirés de l’histoire et de la religion, ils finissent par pousser Boule de suif à céder au souhait de l’officier. Ils reçoivent donc ensuite la permission de repartir. Mais au lieu de lui être reconnaissants, le jour suivant, les voyageurs dédaignent Boule de suif et se moquent d’elle. Elle est de nouveau traitée comme une prostituée, avec laquelle des personnes convenables n’ont rien à faire.

Lors de la dernière scène, Boule de suif est assise avec les autres dans la malle et pleure. Cette fois-ci, elle a oublié de prendre des provisions, et pourtant, les autres ne partagent rien avec elle.

 

L’histoire est basée sur la nouvelle du même nom de Guy de Maupassant. Les dialogues sont ceux du texte, à quelques détails près. Le film est un mélange de film classique et de film d’animation avec différentes techniques. Dans de nombreux cas, les images associées les unes aux autres s’empilent pour former des tableaux. Chaque sujet possède un niveau de valeur apparent. Ces niveaux coexistent et s’empilent avec la même importance. Même les apparences aussi fiables que le sexe ou l’âge se révèlent incroyablement insignifiantes. Les différents fils du tableau progressent en parallèle et ne se touchent que rarement, mais ils influent sur l’image globale. En fin de compte, Boule de suif est vendue. Les glissements de sens évoquent des contradictions imposées qui donnent parfois une impression étrange. L’ensemble forme un panorama de couleurs et de formes superbes qui s’éloigne beaucoup du récit et privilégie en grande partie la forme pure.