Biographie | Analyse de l'entretien des écrivains illustres, scène de Si Versailles m'était conté:
Dans un salon donnant sur les jardins de Versailles, Montesquieu, Diderot et d’Alembert devisent, tandis que Rousseau se tient maussadement un peu à l’écart. La scène commence par un mot de Montesquieu, perruque à la main: «Il serait honteux pour l’Académie que Voltaire en fût, il lui sera quelque jour honteux qu’il n’en ait pas été». Voici précisément que Voltaire, habit noir, jabot blanc, canne à pommeau d’argent, entre dans la pièce. Le problème que pose cette entrée est multiple: que fait ce vieux Voltaire à Versailles? Pourquoi parle-t-on de la perspective de son élection à l’Académie, alors qu’il «en est» depuis 1746? Le «mot» de Montesquieu est certainement anachronique et sans doute apocryphe. C’est plutôt un mot de Guitry, comme celui bientôt prononcé par Voltaire: «Si le siècle précédent fut celui du génie, nous devons être celui de l’intelligence». Voltaire a certes parlé du siècle du génie, mais jamais, sauf erreur, du siècle de l’intelligence. La deuxième partie de la scène oppose brièvement «Jean-Jacques» à Voltaire. «Il y a une autre canaille, à laquelle vous sacrifiez tout, et cette canaille, c’est le peuple», finit par lâcher le vieillard. Ce portrait d’un Voltaire résolument anti-démocrate est rare, au cinéma comme ailleurs. Son ambiguïté politique est sans doute nourrie de celle du vieux Guitry lui-même, dans ces années d’après-guerre. Rousseau sait bien que ce Voltaire-là intéressera peu la postérité; il conclut la scène par ces mots nécessairement prophétiques: «Et dire qu’un jour le peuple ira se prévaloir d’un tel monstre». Cette scène à cinq personnages est bien sûr très improbable, voire absolument impossible (on remarque qu’elle n’est pas construite en tableau: il n’y a pas de plan général qui affirme la coprésence des cinq personnages, vus un par un ou deux par deux, ce qui permet de créer un espace-temps légèrement en dehors de l’histoire). Elle relève d’une esthétique de l’anachronisme érudit qui repose sur une complicité culturelle. Guitry s’adresse à deux publics: l’un satisfait de vérifier ce qu’il croyait savoir (que ces hommes célèbres ont vécu à peu près à la même époque); l’autre plus satisfait encore de ne pas être dupe des libertés prises.
[DR]
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