« Les Misérables (USA, 1998) de Bille August »
Dans le sillage de la comédie musicale à succès de Broadway, une adaptation cinématographique américaine des Misérables réalisée par Bille August laissait craindre le pire. Disons-le tout de suite, le film s’avère moins catastrophique que prévu, notamment parce que la mise en scène préfère, contre toute attente, le huis clos intimiste à la fresque monumentale. La qualité « misérable » de la reconstitution d’époque laisse penser que la relative faiblesse des moyens ne lui laissait en fait guère le choix, mais son parti pris esthétique s’affirme néanmoins au-delà des simples contingences. Cadrant les personnages au plus près, et très souvent sur fond noir, la mise en scène opte radicalement pour une abstration quasi théâtrale, qui s’inscrit dans la vieille tradition de sécheresse et d’austérité du cinéma nordique. Bille August va jusqu’à relever le défi d’adapter la fresque épique des Misérables sans jamais filmer de foule, ou bien in extremis, et à contre-cœur. Ne l’intéresse clairement dans le roman d’Hugo que cet antagonisme viscéral et obscur qui soude Jean Valjean et l’inspecteur Javert dans les affres d’une gémellité duelle. Leur lutte ambiguë devient la trame unique du film, qui relègue à la périphérie, ou annule directement, bon nombres d’épisodes déterminants du roman. Il faut quand même dire que le film massacre forcément le monument de Victor Hugo, mais que c’est aussi le propre des chefs d’œuvres littéraires que de toujours survivre un peu à tous les profonds outrages qu’on peut leur faire, et notamment à cette cure d’amaigrissment assez réjouissante. J[ulien] B[oivent].
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