« Notre-Dame de Paris »
Si Notre‑Dame‑de‑Paris ne nous donnait l'occasion de relire pour la première fois depuis quatre ans le nom de Jacques Prévert sur un générique, ce film mériterait à peine qu'on en parle.
Il est donc d'autant plus fâcheux de constater, en cette même occasion à quel point de médiocrité peut descendre, pour une production dite de prestige, un certain cinérna qu'il est convenu d'appeler le cinéma français.
Sans doute n'y a‑t‑il pas lieu de se fâcher : aussi bien n'est‑ce pas la première fois que la cathédrale aura accouché d'une souris. (Nous éviterons, par pure charité à l'égard du film de Jean Delannoy, de parler des versions américaines de Wallace Worsley (1922) et de William Dieterle (1937).
Regrettons seulement, sans illusions, que d'un roman écrit en style de potache, mais par moment fort divertissant, les adaptateurs n'aient tiré qu'un si maigre scénario, et duquel, avec l'assistance du réalisateur, semble avoir été systématiquement banni toute matière cinématographique.
Devant un aussi piteux résultat, je renonce personnellement à discerner la participation de Jacques Prévert.
Concluons‑en simplement que la mégalomanie du père Hugo se situait sur un plan incontestablement différent des préoccupations des frères Hakim, et à plus forte raison des prétentions personnelles de Jean Delannoy.
Les impératifs commerciaux qui ont sensiblement modifié le personnage de Claude Frollo, dont le caractère ecclésiastique a été complètement escamoté, ont en même temps fait disparaître toute trace de cette frénésie romantique du roman, avec ce qu'elle pouvait conserver de fantaisie ou d'humour, même involontaire, Jean Delannoy se chargeant du reste.
Spécialiste du genre, ce médiocre technicien semble ici, à la suite d'un palmarès pourtant chargé, reculer les limites de l'ennui. Performance d'autant plus remarquable, s'agissant d'un film d'aventures.
Pour se convaincre, par comparaison, du talent de conteur de Hugo, il n'est que de se rappeler comment ce parfait technicien du feuilleton faisait, en dix pages où le grotesque le disputait à l'horrible, dégringoler son prêtre criminel du haut des tours de Notre‑Dame, quand Delannoy expédie sa victime de la manière la plus banale, avec un manque de style qui doit rencontrer la réprobation, sinon de Thomas de Quincey, du moins de tous les gens de goût.[…]
Figuration, direction d'acteurs, mise en scène sont traitées dans un style qu'est en passe d'abandonner l'opéra. comique.
Aussi, quoique dans des styles différents, seuls des comédiens de la classe d'Alain Cuny et Jean Tissier échappent‑ils au ridicule. La finesse de la taille de Lollobrigida justifie mal l'interminable pantomine à laquelle, sous prétexte de danser, elle se livre ; et indépendamment de la vulgarité de son jeu comme de son physique, la lourdeur romaine de sa plastique convient fort mal au personnage de la Esmeralda, restant bien éloignée de l'idéal de beauté romantique.
On ne saurait en vouloir à l'excellent opérateur Michel Kelber de n'avoir eu que des couleurs, des danses à se mettre sous l'objectif ; mais la partition qu'a signée M. Georges Auric me semble encore plus mauvaise que les précédentes. Il aurait intérêt à faire faire sa musique par un autre.
Michel Chilo.
P.‑S. ‑ M. Jean Delannoy, à propos d'une enquête sur l'érotisme au cinéma, précise sa position dans un grand hebdomadaire culturel. Nous ne résistons pas au plaisir de la citer en entier : « J'abandonne volontiers aux censures la fesse, mais je leur disputerai toujours les grands mouvements du cœur et de l'esprit, fussent‑ils en contradiction avec le sens commun, la ”société” » et les “bonnes moeurs” ».
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