On ne se souvient guère aujourd’hui d'Alexandre Koubitzky (Koubitsky, Kubitski) que parce qu’Abel Gance le choisit en 1925 pour jouer le rôle de Danton dans son Napoléon. Pourquoi faire appel à un étranger pour incarner « la voix de la Révolution française » (Michelet) ? À quoi bon un chanteur d’opéra dans un film muet ? Gance voulait sans doute conférer au personnage une touche d’exotisme barbare, qu’il ne trouvait pas chez les comédiens français de l’époque. Koubizkty n’est présent à l’écran que pendant un quart d’heure, vers le début du film. On le voit d’abord dans une réunion au sommet avec Marat et Robespierre (Antonin Artaud et Edmond van Daële). Puis, dans la grande salle des Cordeliers, il entonne l’hymne nouveau que Rouget de Lisle vient d’apporter. Gance signale que certains plans de la foule enthousiaste furent tournés avec une caméra fixée sur la poitrine du ténor pendant qu’il chantait la Marseillaise. Napoléon fut le premier et le seul film de Koubitzky qui, de son vivant, fut surtout connu comme chanteur lyrique. D’origine russe, il s’était produit au Metropolitan de New York pendant la saison 1909-1910 : selon Henry Lahee, il était grand, robuste et brun de peau, et révéla une voix nasale qui avait plus de force d’expression que de beauté sensuelle, d’un genre plus goûté des public russe ou français qu’américain. Les archives de l’immigration des États-Unis conservent la trace de l’entrée en 1908, par le port de New York, d’un Alexandre Kubitzki, résidant à Paris, France, âgé de 27 ans ; s’il s’agit de notre chanteur, il serait donc né en 1881. Nous retrouvons sa trace à Paris dans l’immédiat après-guerre, où il connut une certaine célébrité comme chanteur lyrique. Vers 1920, il participa aux concerts du « Groupe des six » (Darius Milhaud, Francis Poulenc, Arthur Honegger…) et aux soirées des « samedistes » : compositeurs, artistes et écrivains réunis autour de Jean Cocteau. Koubitzky se fit une spécialité de conférences sur la musique russe, musicalement illustrées par lui, dont certaines furent publiées dans le Journal de l’Université des Annales (n°22 du 1er novembre 1923, n°4 du 1er février 1924, n°7 du 15 mars 1924, n°8 du 1er avril 1924). Le fort accent russe que Koubitzky avait toujours gardé contribuait à son prestige mondain, mais explique aussi que, dans la version sonore de 1935 de son film, Abel Gance ait préféré le doubler par la voix de Samson Fainsilber. Il subsiste un enregistrement du ténor : « Sadko - Chanson Hindoue », de Rimsky-Korsakov, enregistré pour Columbia le 9 janvier 1930 (78 t., exemplaire à la B. M. de Lyon). Le Musée des Beaux-Arts de Lyon conserve quant à lui un tableau d’Yves Alix intitulé : « Le ténor Koubitzky » (1924) ; l’élégante tenue de soirée et la légère calvitie du modèle contrastent avec le débraillé hirsute qu’il allait bientôt apporter à son incarnation de Danton. On ne sait ce qu’il faisait à Moscou quand il y mourut le 13 janvier 1937*, à l'âge de 56 ans. [DR]
* C'est du moins ce qu'affirment plusieurs sites, dont IMDb, mais une chercheuse française, Perrine Subrin, a récemment découvert deux articles qui contredisent cette version :
"KOUBITZKY VIENT DE MOURIR. — Nous apprenons avec stupeur la mort d'Alexandre Koubitzky, le célèbre baryton, qui, il y a trois jours, était en bonne santé. Il était à peine âgé de de 55 ans. Artiste de grand talent, et fort cultivé, il interprétait avec intelligence et sensibilité les grands compositeurs russes. Mais chantant en plusieurs langues, il a également servi avec ferveur les autres musiciens célèbres. Les auditeurs de la radio ont apprécié à maintes reprises la puissance de sa voix chaude et nuancée. Il s'était fait entendre à Paris pour la première fois en 1921 et s'y était établi." (Le Petit Journal, 25 décembre 1936, p. 10)
Un article de la revue Lyrica (dernier trimestre de 1936, p. 2771) précise qu'il mourut dans le taxi qui le conduisait à un dîner chez son ami Roland Dorgelès et que ses obsèques furent célébrées le 28 décembre en l'église russe Saint-Serge de la rue de Crimée. Il avait commencé ses études musicales à Saint-Pétersbourg et débuté à Milan dans Faust.
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