Kinématoscope

Intérêt et problèmes d’une base de données consacrée aux représentations du XVIIIe siècle au cinéma

La base de données Kinématoscope (http://kinematoscope.org) est la réunion de trois catalogues de films compilés aux cours des dernières années par des chercheurs de l’université Lyon2  : l’un consacré aux adaptations cinématographiques des œuvres de quelques auteurs français du XIXe siècle (Hugo, Dumas, Balzac, Sand, Zola…) ;   un second aux adaptations des oeuvres littéraires du XVIIIe siècle ;  et un troisième aux représentations du XVIIIe siècle au cinéma.  Les frontières entre les trois domaines ne sont pas étanches : le Quatrevingt-treize de Capellani et Antoine est à la fois une adaptation de Hugo et une représentation de la Révolution française.  La Religieuse de Rivette est une adaptation de Diderot et une représentation du XVIIIe siècle ; en revanche ni Les Dames du Bois de Boulogne de Bresson, ni les Liaisons dangereuses de Vadim ne sont des représentations du XVIIIe siècle, quoique des adaptations de Diderot et Laclos.

La base recense aujourd’hui 1474 films ou téléfilms (dont environ 1100 pour le XVIIIe siècle, dont 55% de films français et 30% de films américains).

Pourquoi une telle base de données, alors qu’il en existe déjà plusieurs en accès libre, notamment l’incontournable International Movie Database (IMDb) ?

Il s’agit d’abord de corriger, dans un domaine de compétence large mais circonscrit, les informations qui circulent sur la toile. Il y a bien, comme le craignait naguère Jean-Noël Jeanneney, une vérité anglo-saxonne (d’ailleurs largement relayée par des sites français) qui constitue l’  « opinion internet ».  Quand l’erreur ne vient pas d’IMDb, IMDb, souvent plagiée, est responsable de sa diffusion.  Mais on aurait tort de se contenter d’opposer la fiabilité des sources imprimées, fussent-elles universitaires, à la fantaisie qui règne sur la toile (c’est ainsi, par exemple, que le très fautif catalogue de Roger Viry-Babel, La Victoire en filmant ou la Révolution à l’écran, Presses universitaires de Nancy, 1989,  peut être facilement corrigé grâce à des sources internet).  Mais la position de monopole d’IMDb  est dangereuse ; c’est une référence en amont de laquelle il est difficile de remonter. S’il doit y avoir des erreurs dans la base Kinématoscope (et il y en a certainement), il vaut donc mieux qu’elles soient originales et que leur source soit indentifiable.

Il s’agit ensuite de combler quelques lacunes. IMDb est essentiellement un dépouillement de génériques de films. On peut souhaiter l’existence d’une base qui sollicite des compétences universitaires, notamment en ce qui concerne les sources littéraires originales et intermédiaires des scénarios.  La popularité du personnage de madame du Barry, notamment au temps du muet, s’explique par exemple par le succès d’une pièce de David Belasco (1901). Le seul roman historique de Dickens, A Tale of Two Cities, a été adapté au moins douze fois à l’écran,  mais souvent  par le relais de diverses pièces de théâtre.

Un autre travail consiste à préciser le contexte historique dans lequel est située l’action de tel ou tel film.  Par exemple les divers Fanfan la Tulipe se situent soit vers 1745 pendant la guerre de Succession d’Autriche, soit vers 1760, pendant la guerre de Sept Ans. Les deux Orphelines, mélodrame de Dennery et Cormon a été transposé par D. W. Griffith sous la Révolution française (Orphans of the Storm, 1921), tandis que d’autres réalisateurs (Capellani, Tourneur, Freda…) préféraient lui conserver son cadre original, celui du règne de Louis XVI, sans tenter d’en faire un pamphlet contre la Terreur.

Une autre ambition de cette base est de proposer pour chaque film un commentaire qui, plutôt que de proposer des impressions de spectateur, s’attache spécifiquement à la question de l’adaptation d’une oeuvre et/ou de la représentation d’un événement historique. Ces commentaires doivent être accompagnés d’une bibliographie.  C’est là évidemment la partie la plus importante de l’entreprise, celle qui la distinguera d’une simple compilation de données existantes et celle dont la réalisation prendra le plus de temps. Seule pour le moment une centaine de notices originales a été rédigée . S’agissant de plus d’un millier de films, le travail ne peut être que collectif ; mais plus les collaborateurs seront nombreux, plus les risques d’erreurs et de variations dans la qualité des commentaires est élevé.

Chaque fiche de Kinématoscope est liée à des tables qui permettent divers types de recherches au sein de la base :

  • recherche par nom d’acteur. La table « acteurs » compte plus de 5000 entrées.  On apprend par exemple que, entre 1938 et 1978, l’acteur belge Jacques Castelot a interprété une douzaine de rôles de personnages du XVIIIe siècle fictifs ou réels (dont Restif de la Bretonne,  Voltaire, Choiseul, le comte d’Artois, Fouché) ; ou que Otto Gebühr a incarné 10 fois le seul personnage de Frédéric II.
  • recherche par réalisateur. La table « réalisateurs » compte plus de 1000 entrées. Parmi celles-ci, Alice Guy, la première réalisatrice de l’histoire du cinéma, qui entre 1904 et 1912, a réalisé pour la Gaumont le premier Fanfan la Tulipe,  mais aussi le premier Fra Diavolo, et le premier Assassinat du courrier de Lyon.

Ces deux types de recherche sont également possibles sur IMDb ; en revanche Kinématoscope propose des modes de recherche inédits :

  • sur  les personnages historiques.  Plus de 400 personnages. On découvre que celui de Voltaire a été interprété 34 fois au cinéma.(Voir image ci-après, cliquer pour agrandir, source Excel ici)
  • sur les auteurs et les œuvres adaptées.   On constate que seules 4 œuvres de Voltaire (5 si l’on compte Alzire dans Alzire oder der neue Kontinent, 1977) ont été portées à l’écran. Candide : 11 fois ; Zadig : 2 fois
  • sur les événements historiques. Combien de films sur les affaires du Collier, du courrier de Lyon, et de la bête du Gévaudan ? (15, 10 et 3 respectivement).

Bientôt un traitement  statistique des données permettra d’avoir des réponses synthétiques à des questions croisées telles que : l’évolution de la fréquence du personnage Marie-Antoinette au cinéma selon les années et les pays ; ou la place respective de la Révolution américaine et de la Révolution française dans le cinéma américain.

Recherches croisées : Rousseau et Diderot apparaissent ensemble dans 6 films ; Franklin dans 7 films français. Marie-Antoinette dans 8 films des années 1910, 8 des années 1920 ; 8 des années 1930 (voir image ci-contre).

Outre la question de son utilité ; outre les problèmes techniques liés à l’élaboration et aux modifications du logiciel (que nous négligerons ici), les deux principaux obstacles à la constitution d’une telle base sont :

  • la nature du corpus. Celui-ci est théoriquement clos (si l’on excepte la demi-douzaine de films pertinents produits chaque année). La base peut donc viser à l’exhaustivité. Mais les films ne peuvent être répertoriés que de manière empirique et hasardeuse ; souvent sur la seule foi de leur titre. Il n’existe de catalogues que concernant des domaines spécifiques (les représentations de la Révolution française, par exemple). Beaucoup de films étant invisibles, leur existence même est douteuse ; certains scénarios connus d’avant 1914 n’ont peut-être pas été tournés. Par ailleurs, les productions américaine, française, anglaise, allemande et italienne sont plus faciles à explorer de façon systématique les cinémas asiatiques ou hispanophones.
  • la caractérisation des données. Plus elle est fine, plus elle reflète la réalité du corpus, mais plus elle rend difficile l’interrogation de la base. Une catégorie « Révolution française » est sans doute trop large pour être intéressante, mais si on la remplace par des micro-catégories du type « Assassinat de Marat » ou « Procès de Marie-Antoinette », celles-ci échapperont à qui recherchera « Révolution française », comme à qui cherchera « mort de Marat » ou « Procès de la reine ». La solution consiste en un arbre qui permet de déterminer progressivement la « granularité » de l’interrogation et, à chaque étape, soit de s’arrêter, soit de poursuivre en choisissant entre un nombre limité de termes prédéterminés. Par exemple : « Histoire de France du XVIIIe s. -> Révolution -> Convention -> Procès de Marie-Antoinette ».  Mais cet arbre ne peut être dessiné a priori selon des réflexes d’historien ; il doit être ajusté en fonction du corpus. Il n’y aurait pas de sens à  proposer « Règne de Louis XV -> attentat de Damiens »,  puisque ce dernier événement, sans doute historiquement important, n’a à ma connaissance jamais été représenté au cinéma (juste une allusion chez Guitry) ; en revanche la catégorie « Directoire » doit comprendre une sous-catégorie « Affaire du courrier de Lyon » qui, cinématographiquement, a plus de poids que « Campagne d’Egypte ». La table des catégories historico-géographiques n’est pas encore établie.
  • Un problème de même nature est celui des noms propres. A chaque personnage doit correspondre dans la table une dénomination principale et une graphie standardisée.  Il faut donc que « Napoléon » et « Bonaparte » renvoient à « Bonaparte » ; « Balsamo » à Cagliostro », etc. Mais faut-il prévoir également que certaines recherches se feront peut-être sur le nom de « Callas » et nom celui de « Calas » ?

La constitution d’une base comme Kinématoscope ne peut donc se faire que de façon tâtonnante, en fonction de l’idée que l’on se fait des besoins et des compétences des gens susceptibles de la consulter.




 


Dernière mise à jour le lundi 28 septembre 2015 (23:56) par  G. Foliot

 

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