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Notice
TitreLes Misérables de Jean-Paul Le Chanois, Le Canard enchaîné, 19 mars 1958.
Datemercredi 19 mars 1958
SourceLe Canard enchaîné
Filmographie
Texte

« La plus belle histoire en images »

Dès les premières images, on est rassuré : Les Misérables ne seront pas trahis et presque aussitôt, on sourit de sa propre inquiétude. Personne ne trahira jamais Les Misérables. Même la minable représentation de la Comédie-française n’y parvenait pas. Et pourquoi ? Parce que c’est le plus beau roman français et peut-être le seul qui n’ait pas peur. Pas peur d’être une tragédie, un mélo, pas peur de sa verve, pas peur de sa force. Le cinéma à cet égard ne saurait tromper. Ses caméras risquent à chaque instant de gâter le visage d’un Julien Sorel ou d’un Fabrice del Dongo, héros de génie, soit, mais à peau délicate et à teint de jeune fille : flanquez mille sunlights dans la gueule de Jean Valjean, il les supportera sans broncher. Solide comme le granit, il défie vos soleils artificiels : il est un des trois ou quatre grands de la littérature mondiale, le frère - et cela, on ne l’a pas assez dit - de Don Quichotte ou de Robinson Crusoe, solitaire comme eux, vierge comme eux, comme eux traqué en immortel.

D’ailleurs, il n’était pas question de trahir. Le travail de Le Chanois n’est sans doute pas génial mais il porte de bout en bout - quatre heures de projection ! - la marque d’une rigoureuse honnêteté. Bien sûr, quatre heures, ce n’est encore rien - ou pas grand-chose. Il y a vingt films dans Les Misérables : toute la carriere d’un scénariste. On pourrait en faire un rien qu’avec l’épisode Myriel, un autre avec Fantine, Marius ou Javert. C’est qu’il ne s’agit pas là d’une simple galerie de personnages mais de tout un peuple étonnamment capricieux qui, pour peu qu’on l’amène devant une lanterne magique, s’éveille, se ranime et se met brusquement à vivre de manière presque autonome. Enjolras, tenez : dans le roman, il ne traverse que quelques chapitres, mais mettez-le à l’écran : il crève la toile, le bougre ! Il a donc fallu résumer, canaliser cet océan humain, et j’approuve Le Chanois et Barjavel de s’être servis de la voix-off - la belle voix de Jean Topart - comme d’une sorte de récitant de légende faisant le point et liant l’action. Grâce à ce procédé, l’histoire nous est contée sans trop de coupures et même lorqu’on triche avec elle on en ramasse astucieusement les éléments, par exemple en traduisant la poursuite de Jean Valjean à Paris par une poursuite à l’auberge de Montfermeil. Quant aux acteurs, c’est bien simple. Il y a ceux qui, avec ou sans talent, sont déguisés. Et puis ceux qui, par je ne sais quelle grâce de visage, de maintien ou de port du costume, vivent réellement en 1820 ou en 1840 : Danielle Delorme, Serge Reggiani et Silvia Monfort - qui fait une admirable recréation d’Eponine.

On a même eu quelques audaces payantes .On a confié Thénardier à Bourvil qui le joue en franc acteur - et un acteur comique, car Thénardier n’est pas un monstre : c’est seulement un salaud comme il y en a eu des milliers sous l’Occupation, une suave ordure du fumier social. Seul Blier (Javert) me fait triquer : Excellent jusqu’à sa mort, mais là, on n’y croit plus. D’abord parce qu’un flic qui se met les menottes et se jette à l’eau… et puis parce que, quoi qu’il fasse, Blier reste un bon gros même quand il prend ses airs méchants. Et Gabin ?

Gabin est Gabin.

Il fait le poids. Il est rude. Il est costaud. Il est bon. Il a tout le fardeau de la tendresse humaine sur les épaules. Un autre aurait essayé de composer, lui pas. Il est resté lui-même, Jean Gabin, « c’est à prendre ou à laisser ». Et comme c’était, naturellement, le meilleur moyen de trouver Jean Valjean en route, il l’a trouvé. Quelque part, dès le début du côté de Digne, avec les chandeliers d’argent sous le bras… Gabin, le seul acteur français capable de dire à Jean Valjean : « mon pote». Mais peut-être n’aimez-vous pas Les Misérables ? Alors, merdre pour vous, comme dirait le père Ubu.

 

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